Marseille, l'autre pays du langage
- Mathilde ROUX
- 28 mai 2018
- 2 min de lecture
En fait le seul.
J'ai pas mal baroudé à travers la France durant ma vie (pourquoi me refuse-t-on le mot "barouder", horriblement souligné de rouge par mon correcteur automatique ?.... "Barouder" n'existerait-il pas ???? C'est ma vie qui s'effondre là...) et je peux donc l'affirmer sereinement: on ne s'exprime vraiment qu'ici. Je veux dire qu'il n'y a qu'à Marseille que le langage constitue à ce point un enjeu vital. Pour un marseillais, vivre c'est parler. Ne chercher pas le silence, y a des monastères pour ça.
A Marseille, vous avez un message, vous êtes une cible, un in-ter-lo-cu-teur (insistez sur chaque syllabe, vivez l'importance du concept. On vous l'a dit: c'est vital). Expérience: entrer dans une boulangerie quelconque pour acheter une baguette ou un croissant (ça n'a pas d'importance, c'est pas le propos), je vous assure que vous serez convaincu en en sortant que vous êtes en réalité l'enfant caché de la boulangère, dont vous connaîtrez toute l'existence en 5 mn à peine (20 mn en réalité: "trinquille, on est pas des Parisiens !"). La preuve absolue : le lendemain, elle ne vous reconnaîtra pas, comme le jour de votre naissance. Ne vous formalisez pas : elle vous aime quand même. Parce que, avouez le, vous étiez au spectacle pour trois fois rien (le prix d'une baguette ou d'un croissant donc) : alors pro-fi-tez ! Soleil, mer, tchatche, la Sainte Rentabilité Phocéenne. Si vivre à Marseille était rentable pour d'autres raisons, ça se saurait (et en fait non).
Et là je pousse mon coup de gueule : parce que le langage constitue quand même le socle de nos relations humaines, une richesse identitaire hallucinante. Disons le tout net (on craint degun), Marseille c'est New-York. Un jour, un dictionnaire. Bim. Boulègue, cagade, encatané, pébron, piter, c'est juste au réveil. Après on se lève. Créativité merveilleuse.
Alors, c'est vrai, je suis aussi une enfant du Sud Ouest et je vais perdre au moins 18 membres (un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup) qui revendiqueront haut et fort leur fameuse "CHOCOLATINE" (l'incontournable). Pauvres de vous. A Marseille, avec une chocolatine, on vous fait une tragédie en trois actes que même à Paris ils en ont jamais vu de pareilles (oui, ici, c'est une obsession la capitale, sans majuscule. En vrai c'est un terme générique pour désigner les Assassins).
Parce qu'on joue les mots dans la cité phocéenne, à force de les idolâtrer on leur fait vivre des scénarios auxquels ils n'étaient pas forcément destinés. Souvenez vous la sardine. Celle qui a bouché le Vieux Port. Qui aurait cru qu'elle deviendrait une figure légendaire ? A Marseille, c'est possible.
Alors, quand on aime tellement les histoires, même les petites, même la Grande, Marseille, on aura beau la dénigrer cette vieille dame au comportement de gosse, elle restera à tout jamais la Divine.

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