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  • Photo du rédacteurMathilde ROUX

Pour Gwendoline


"Plaidoyer pour les éditeurs


Ami romancier, écoute-moi bien car je ne te le dirai pas deux fois. Aime ton éditeur. Remercie-le de se battre pour que tu existes. N'oublie pas que tu lui dois tout. Sans lui, admets-le: tu n'es pas grand-chose. Lui sans toi n'est rien mais, contrairement à toi, lui le sait. Plus tu as du talent, plus il a du mérite de croire en toi, par ces temps difficiles. Ton éditeur n'est pas un vil exploiteur mais un bon Samaritain: tu devrais l'encourager à profiter des bienfaits de ta plume, au lieu de t'en plaindre à longueur de journée. Ok, c'est pénible d'avoir un éditeur. Mais il y a un truc pire: en être un. Là, je sens que je vais vraiment m'énerver.

En France, il y a deux catégories professionnelles que personne ne respecte: les hommes politiques et les éditeurs. Pourquoi ? Il me semble que, par les temps qui courent, nous avons besoin de gens compétents (ou inconscients) pour se lancer dans ces deux activités. Je viens de quitter Flammarion car je n'arrivais plus à écrire. Ce n'est pas une catastrophe mais une question de concentration. J'espère gérer ma schizophrénie suffisamment pour pouvoir refaire ce boulot un jour. Mais il n'est pas normal que je ressente un tel soulagement depuis deux semaines ! Cela me scandalise ! Attention: je ne critique pas les gens avec lesquels j'ai travaillé durant trois ans, au contraire ce sont des saints. Jamais je n'ai vu une telle patience, une telle abnégation aussi peu récompensées. Et je suis fier de tous les livres que j'ai publiés: qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai même pas pensé. Mais je ne comprends pas l'ingratitude et l'impolitesse de ceux qui aimeraient devenir des auteurs. Je déplore la piètre image qu'ont certains libraires et de nombreux critiques des passionnés qui font ce métier. Un éditeur est toujours considéré comme un escroc ou un larbin par tous les ringards égocentriques et cupides. Il est considéré comme normal de le harceler jour et nuit comme s'il était concierge d'hôtel. On le traite de vulgaire commerçant alors que s'il était commerçant il se lancerait dans le porno sur Internet ou les applis de sexe géolocalisé ! Je vous épargne les lieux communs sur l'édition: on croit qu'on va parler de lettres mais on ne cause que chiffres: un manuscrit sur mille est intéressant; les librairies sont submergées au moment même où elles sont désertées... Tout cela je le savais avant de siéger dans un comité de lecture. Pourquoi personne n'évoque-t-il le combat quotidien des éditeurs pour sauver ce qui peut encore être de la littérature ? Des heures et des heures de relecture attentive, de corrections détaillées, de suggestions fines. Pourquoi rend-on systématiquement hommage (à juste titre) aux professeurs de lycée et ironise-t-on toujours sur les éditeurs pourris ? Je n'ai jamais vu une corporation où il y ait moins de cynisme. Je sais qu'il y a beaucoup de confrères qui me lisent. Chers écrivains, je vous ordonne de téléphoner à votre éditeur pour lui dire merci. Quant aux autres, ceux qui ont envoyé un chef d'oeuvre et ne comprennent pas pourquoi on ne leur a pas répondu le lendemain; qu'ils n'oublient pas que ce sont les éditeurs qui leur ont donné le goût de ce rêve. En deux décennies, j'ai essayé quelques professions où j'étais payé très cher à ne rien foutre (et j'ai bien l'intention de continuer dans cette quête). Je peux vous garantir que dans l'édition c'était l'inverse: j'étais mal payé pour travailler jour et nuit. Il serait temps que cela se sache. Plus jamais je n'emmerderai mon éditeur. Mon expérience aura au moins servi à cela."


Frédéric Beigbeder.




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